samedi 28 janvier 2012

Jacques le Fataliste et son Maître, roman / rhapsodie par Denis Diderot, 1765-1783

Jacques et son maître chevauchant, gravure d’Augustin Mougin d’après Maurice Leloir, Paris, Chamerot, 1884

Résumé : Jacques et son maître, un noble dont on ne sait pas le nom, sont en voyage. Le Maître n'aimant pas beaucoup parler mais appréciant les histoires souvent impertinentes de son valet demande à Jacques de raconter l'histoire de ses amoures. Cependant, cette histoire est interrompue par de très nombreuses digressions, de sa part, de celle des personnes qu'ils rencontrent et du Maître lui-même.

Opinion personnelle : Le style de Diderot est toujours aussi plaisant à lire, et le fait qu'il se moque ouvertement de son lecteur est aussi exaspérant que profondément amusant. J'ai été surprise par le surgissement d'une scène érotique (bien que j'aurais dû m'y attendre venant de lui), et je me suis sincèrement demandé tout ce roman ou, comme il l'appelle, cette rhapsodie de faits, si Jacques allait ou pas finir l'histoire de ses amoures. Mais le plus intéressant à mon sens est la forme de l'oeuvre, car c'est la première fois que je croise ce type de narration en tiroirs surréalistes, apparemment chaotique et pourtant organisée, et dont le narrateur, qui ne dissimule en rien sa présence, la renforce au contraire en proposant au lecteur plusieurs possibilités de scénarios et en démontant l'illusion romanesque.


Citations

JACQUES
Mon Maître, on ne sait de quoi se réjouir, ni de quoi s'affliger dans la vie. Le bien amène le mal, le mal amène le bien.
Diderot rejoint ici Beaumarchais en parodiant presque, dans les lignes suivantes, son Figaro qui "s'empresse de rire de tout de peur d'être obligé d'en pleurer". 

L'EXEMPT
Vous mentez, vous êtes le pâtissier, car le pâtissier est celui qui couche avec la pâtissière. Levez-vous, habillez-vous et suivez-moi. 

(Le narrateur)
Le premier serment que se firent deux êtres de chair, ce fut au pied d'un rocher qui tombait en poussière ; il attestèrent de leur constance un ciel qui n'est pas un instant le même ; tout passait en eux et autour d'eux, et ils croyaient leurs coeurs affranchis de vicissitudes. 
Ici Diderot critique la tradition de fidélité du couple en montrant qu'elle n'est pas naturelle : le temps vient à bout de tout puisqu'à cause de lui même un rocher tombe en poussière ; la constance n'est pas naturelle puisque tout change, même le ciel par lequel on fait serment : les promesses de fidélité ne sont pas conséquents que des croyances illusoires. 

L'HÔTESSE (sur Mme de la Pommeraye)
Elle s'est vengée, elle s'est cruellement vengée ; sa vengeance a éclaté et n'a corrigé personne ; nous n'en avons pas été depuis moins vilainement séduites et trompées. 

L'HÔTESSE
Les voilà arrivés au Jardin du Roi ; et les voilà mêlés dans la foule, regardant tout, et ne voyant rien, comme les autres. 

(Le narrateur)
Un homme en poignarde un autre pour un geste, pour un démenti ; et il ne sera pas permis à une honnête femme perdue, déshonorée, trahie, de jeter le traître entre les bras d'une courtisane ? Ah, lecteur, vous êtes bien léger dans vos éloges, et bien sévère dans votre blâme. (...) Je n'y vois que des trahisons moins communes, et j'approuverais fort une loi qui condamnerait aux courtisanes celui qui aurait séduit et abandonné une honnête femme : l'homme commun aux femmes communes. 
Tandis que je disserte, le maître de Jacques ronfle comme s'il m'avait écouté (...).

Jacques demanda à son maître s'il n'avait pas remarqué que, quelle que fût la misère des petites gens, n'ayant pas de pain pour eux, ils avaient tous des chiens (...) D'où il conclut que tout homme voulait commander à un autre ; et que l'animal se trouvant dans la société immédiatement au-dessous de la classe des derniers citoyens commandés par toutes les autres classes, ils prenaient un animal pour commander aussi à quelqu'un. (...) Les hommes faibles sont les chiens des hommes forts.

En bonne fois, un nom personnel peut-il être de bon ou de mauvais goût ? (...) Défaites-vous de votre fausse délicatesse.
Diderot parle ici du nom Bigre, gros mot très injurieux à l'époque.

Si mon ouvrage est bon, il vous fera plaisir ; s'il est mauvais, il ne fera point de mal. Point de livre plus innocent qu'un mauvais livre. (...) Vilains hypocrites, laissez-moi en repos. Foutez comme des ânes débâtés ; mais permettez que je dise foutre ; je vous passe l'action, passez-moi le mot. Vous prononcez hardiment tuer, voler, trahir, et l'autre vous ne l'oseriez qu'entre les dents ! (...) Et que vous a fait l'action génitale, si naturelle, si nécessaire, si juste, pour en exclure le signe de vos entretiens, et pour imaginer, que votre bouche, vos yeux et vos oreilles en seraient souillés ? Il est bon que les expressions les moins usitées, les moins écrites, les mieux tues soient les mieux sues et les plus généralement connues ; aussi cela est-il ; aussi le mot futuo n'est-il pas moins familier que le mot pain.

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    En ligne sur mon blog, une fiche de lecture consacrée à Jacques le Fataliste de Diderot : http://100fichesdelecture.blogspot.fr/2015/05/diderot-jacques-le-fataliste-et-son.html

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