mercredi 8 février 2012

Something

Je suis assez contente du dessin, pour une fois. J'ai l'impression de ne pas l'avoir complètement démoli deux secondes avant de le terminer comme je le fais d'habitude.

En fait, ce dessin illustre les instants suivant la fin du texte - même s'il ne seront pas écrits.
Je ne savais pas quoi mettre comme titre, et soudain j'ai pensé aux Beatles...
Couché à côté de l'époux d'Azilis, lui-même endormi au côté de sa femme, Vanhel essayait de ne pas prendre entièrement conscience que cette nuit était l'une des plus ironiques de sa vie. Dormir séparé de la femme qu'il avait voulu épouser par l'homme qui la lui avait prise était déjà un mauvais début. Savoir qu'une déesse particulièrement dangereuse bien que pour l'instant pas trop jalouse dormait également à côté de ladite femme n'arrangeait pas le portrait. Et Actoléon, contrairement aux invités d'honneur, n'avait pas été convié à partager le lit de leur hôte ; il dormait par terre, avec les serviteurs.
Il lui manquait un peu. Vanhel aimait sentir contre lui la chaleur et le poids des animaux domestiques, surtout en hiver. Il avait envie de le passer un bras autour de lui et de lui caresser la tête. Il aurait voulu qu'il prenne sa forme de chat. Ou de panthère, pour ennuyer le mari d'Azilis.
Azilis.
Il ne fallait pas qu'il y pense.
Il fallait qu'il se concentre sur autre chose, plutôt. Du regard, il chercha à retrouver la présence familière d'Actoléon ; le jeune dieu était à l'autre bout de la salle, du côté le plus éloigné du feu. Bien sûr la chaleur réunie par tous les corps de la salle, ainsi que celle des flammes, avait réchauffée la pièce ; mais il était près de la porte, il pouvait toujours y avoir un courant d'air.
Soulagé d'avoir trouvé une raison valable de quitter leur lit, Vanhel s'en extirpa discrètement et empoigna l'énorme couverture de peau qui avait glissé de son côté du lit. Après l'avoir grossièrement repliée sur son bras, il se dirigea silencieusement vers le bout de la salle, où il reconnut immédiatement la forme humaine d'Actoléon qui semblait sommeiller sur le flan, près —trop près à son goût— du domestique avec lequel il était couché. Qui plus est, l'homme en question ne dormait pas.
Sourcils froncés, Vanhel se pencha pour le saisir par l'épaule et le tirer sur le dos.
-Distances, grommela-t-il dans sa barbe en lui jetant un regard noir.
Actoléon, étonné, se tourna également vers lui, et Vanhel fut heureux de lui avoir amené une couverture puisque de toute évidence, il était parfaitement nu. Maintenant en colère contre lui, le viking l'empoigna par le bras, le souleva sans effort pour le remettre sur pied et l'enveloppa dans la peau qu'il tenait. Heureusement que le jeune dieu avait eut la présence d'esprit de se créer un corps humain complet.
Puis, toujours hérissé, Vanhel le tira sans ménagement jusqu'à l'extérieur de la salle.
-Qu'est-ce qu'il te prend ? s'écria-t-il alors. Dormir cul-nu contre un inconnu, un homme en plus ? Dans une maison que tu ne connais pas et où les yeux nous gèlent sur place ?
Actoléon le regardait d'un air absolument stupéfait. Puis il tâcha de lui faire lâcher son bras, parce qu'il lui faisait mal.
-Je ne comprends pas, dit-il. Je ne suis pas en danger, et je n'ai aucun problème de température.
-On ne dort pas nu contre un inconnu ! répéta Vanhel en essayant lui-même de comprendre pourquoi l'affaire l'ennuyait tant que ça. Surtout quand ça à l'air de lui faire plaisir !
Pour le coup, Actoléon sembla complètement perdu.
-Je…
-Habille-toi, intima Vanhel. Fais un de tes tours de magie ou je ne sais quoi et mets-toi quelque chose sur le dos.
-Mais je n'ai pas froid, protesta Actoléon. J'ai modifié mon corps pour qu'il—
-Je m'en fiche de ce que tu as fais à ton corps, sale monstre ; tu vas enfiler des vêtements tout de suite !
Actoléon sembla blessé. A vrai dire, même Vanhel ne put s'empêcher de penser qu'il avait été trop loin cette fois-ci. Il détourna un instant les yeux et avala sa salive.
-Ecoute, reprit-il un ton plus bas, c'est très mal vu pour un garçon d'être vu dans les bras d'un autre, surtout ici ; et même si ce ne sont que des rumeurs, il ne faut pas les laisser courir, tu entends ? Habilles-toi.
Mais Actoléon, qu'il tenait toujours par le bras, fit quelque chose d'inattendu, pour une fois. Il secoua la tête en reculant.
-Je ne suis pas d'accord ! dit-il. Ce n'est pas grave du tout, et puis je n'aime pas porter des habits. 
Vanhel pinça les lèvres, puis fit un pas vers lui pour pouvoir lui parler à voix basse, en resserrant sa prise autour de son bras.
-C'est —ça peut être très grave, insista-t-il. Si… si tu es l'homme cela n'a pas d'importance, précisa-t-il cependant ; c'est même plutôt bien pour montrer qui commande, surtout en temps de guerre, mais il ne faut jamais, jamais faire ça comme une femme. Tu comprends ? Un homme doit se comporter comme un homme, et une femme comme une femme. Si quelqu'un essaie de te détourner de ta destinée… c'est la pire chose qui puisse arriver, d'accord ? Il ne faut jamais laisser personne te détourner de ce que tu dois être.
Il n'était pas bien sûr de se faire comprendre, et surtout pas de quelqu'un qui n'avait pas de forme fixe. D'ailleurs, Actoléon hochait lentement la tête de côté en côté.
-Ce n'est pas vrai, dit-il d'une voix étrangement neutre. Ce n'est pas "grave". Quelqu'un ne me ferait pas ça pour que ce soit "grave".
Quelque chose en Vanhel se glaça.
-Qui ? demanda-t-il brusquement en saisissant son autre épaule. Qui est-ce qui t'a déjà fait ça ?
C'était complètement idiot comme question. Vanhel ne connaissait personne dans l'entourage d'Actoléon, à part ses parents.
-Ce n'était pas "grave", déclara Actoléon avec détermination.
Apparemment, il avait décidé que ce mot était un synonyme de "mal". Il semblait troublé ; sur sa lèvre inférieure courrait comme un frisson. Vanhel eut pitié de lui, soudain, de sa naïveté. Il lâcha ses épaules et le prit dans ses bras, doucement.
-Est-ce que quelqu'un le sait ? demanda-t-il, mais cela aussi était une question idiote.
Quelle importance si quelqu'un le savait ? Qui allait penser d'un dieu qu'il ne pouvait se comporter comme un dieu c'est-à-dire, comme il l'entendait ? Loki avait bien enfanté Sleipnir sous forme de jument. C'était assez honteux, certes, parce qu'il ne l'avait pas désiré ; mais il était un dieu changeur de formes aussi, et changer de forme ne faisait-il pas partie de ce qu'il était ?
-Pour toi, ce n'est pas grave, décida-t-il. Si tu en as envie, et puisque c'est dans ta nature de changer de forme, ce n'est pas grave.
Actoléon serra le poing dans le tissu de sa tunique.
-Est-ce que tu veux dire qu'un homme pourrait me faire ça pour que ce soit grave ? demanda-t-il.
Grave.
-Non, pas "grave", corrigea Vanhel. Pour te faire du mal, peut-être. Ou pour t'humilier. Ou pour te montrer qu'il est ton maître. Ou pour humilier quelqu'un d'autre, quelqu'un de ta famille. C'est… il y a quelques  hommes qui vivent comme ça sans être trop mal vu, mais c'est parce qu'ils s'occupent comme de vrais hommes de leur famille, de leurs femmes et de leurs enfants. Et toi, tu n'as rien de tout ça—
C'était peut-être un peu dur. Après tout, Actoléon avait des parents.
-Alors, résuma doucement Actoléon, ce serait juste pour faire du mal à… ma mère ?
Vanhel passa instinctivement une main sur les cheveux noirs.
-Ce n'est pas grave, répéta-t-il. Tu ne le savais pas.
Il lui faisait décidément pitié. Être ignorant du monde au point de ne pas savoir ce genre de choses… à vrai dire, Vanhel n'avait jamais compris comment on pouvait penser le contraire ; les hommes lui semblaient en général aussi attirants qu'un bout de lézard écrasé. Bon évidemment, dans le cas d'Actoléon, il imaginait bien qu'on puisse faire exception. De l'extérieur il avait tout d'un spécimen presque parfait de l'espèce humaine.
-Si tu me faisais ça, ce serait pour faire du mal à Domino ? demanda Actoléon tranquillement.
Vanhel manqua de s'étouffer.
Faire ça ? Lui ? A cette chose…  à Acty  ?
-Ne dis pas de bêtise, grommela-t-il en s'éloignant un peu. Et habilles-toi maintenant, tu me fatigues.
-Pourquoi est-ce que tu le ferais sinon ? demanda Actoléon sans fléchir.
-Mais je ne le ferais pas ! répliqua Vanhel, que cette conversation mettait sur les nerfs. Pas avec toi ; écoute, je ne te vois pas du tout comme ça, alors maintenant, tu vas arrêter de dire des bêtises, t'habiller retourner dormir. Compris ?
-Oui, répondit Actoléon, mais je ne vais pas le faire. Je veux savoir pourquoi tu ferais ça.
-Je ne le ferais —tu m'écoutes, au moins ?
-Je sais que tu le ferais. J'en suis certain. Alors dit moi pourquoi. Pour énerver Domino ? Tu l'aurais fait avec n'importe lequel de ses enfants ? Je veux dire—
Vanhel lui plaqua une main sur la bouche, et Actoléon cessa momentanément de débiter des insanités —avant tout parce qu'il ne comprenait pas ce que ce geste voulait dire. Il le regarda avec étonnement.
-Je ne le ferais pas avec toi, répliqua fermement Vanhel. Maintenant, tu vas m'écouter parce que je ne le répèterai pas. Je ne le ferais jamais avec toi, et je ne veux plus t'en entendre parler.
-Ce n'est pas vrai, répliqua Actoléon contre sa main —il n'avait toujours pas compris le concept du bâillon.
Le jeune dieu saisit alors les pans de fourrure de la couverture que Vanhel lui avait apporté pour la faire tomber à terre. Vanhel éloigna la main de sa bouche pour en recouvrir la sienne. Sous cette apparence, il était encore plus beau que Domino —tellement plus humain. Il —elle— n'avait rien mis en place dans le but de sembler belle, ou attirante, mais chacune de ses formes, de ses courbes, paraissait parfaite à sa place. On ne remarquait la transformation qu'à quelques détails, quelques un évidents, d'autres plus subtils, la finesse d'une ligne, la délicatesse des articulations, la rondeur d'une hanche.
-Tu me mens, poursuivit Actoléon d'un air blessé. Tu t'en rends compte maintenant, n'est-ce pas ? Alors dis-moi pourquoi tu as fait ça, dis-moi si c'était juste pour faire du mal à Domino.
Vanhel avait du mal à formuler ses pensées. Il resta ébahit, un bon moment, sa main toujours devant la bouche, avant de s'en frotter le front et les yeux. Puis la mécanique se remit en marche et il se baissa pour ramasser la couverture et l'en recouvrir à nouveau.
-Je ne veux pas… te faire ça, dit-il sans vraiment réfléchir. Ni te faire ça, ni du mal —et je me fiche de Domino.
N'ayant pas encore entièrement recouvrés ses esprits, il la reprit dans ses bras, posant le menton contre sa tempe.
-Il faut que tu t'habilles, d'accord ? dit-il en la berçant presque. Je ne veux pas non plus que quelqu'un d'autre, que cet homme, te fasse du mal. Tu comprends ? Je veux que tu t'habilles, maintenant.
Actoléon lui obéit, docile. Vanhel sentit contre lui son corps en pleine transformation, le changement progressif de son anatomie. Lorsqu'il le regarda à nouveau, le jeune dieu avait tout de son aspect humain ordinaire, et de sous la couverture dépassait le col d'une chemise de nuit.
C'est à peu près à ce moment là que l'air commença à laisser paraître une présence familière.

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