Ka avait toujours admiré Anna. Non seulement elle n’hésitait jamais à donner son avis, mais en plus elle n’avait pas peur de l’affirmer par des actes.
Dans le cas d’Ahuura, par exemple.
Ahuura ne parlait à personne. Elle arrivait en classe et se taisait dans un coin, ses affaires nettement disposées sur le bureau devant elle. Les yeux baissés, elle prenait soin de ne croiser le regard de personne, et son visage crispé se tendait dans l’attente du début des cours.
Ahuura était le type même de personne qui exaspérait Ka. Ces personnes immobiles et muettes qui serrent les dents en attendant que les heures passent – ces gens que l’on devine en permanence terrifiées. Ka détestait leur silence, leur immobilisme, leur passivité. Il aurait voulu qu’elles bougent. Il aurait voulu qu’elles réagissent quand on leur parle, qu’elles vous regardent, qu’elles mordent quand on les frappe. Il ne supportait pas qu’Ahuura vienne en cours chaque jour, chaque jour avec ponctualité, comme si elle était déjà morte.
Pour lui, venir en cours alors qu’on était déjà mort était une absurdité. Pour lui, être déjà mort alors qu’on était encore en vie ne devait pas exister.
Il aurait voulu la frapper. La faire disparaître ou la réveiller, mais en faire quelque chose, quelque chose de vivant.
En lui faisant du mal. La douleur n’est-elle pas le plus efficace des stimuli ? Tous les jours, avec d’autres enfants, il la regardait se faire martyriser, moquer, insulter et bousculer.
Elle ne réagissait pas. On se demandait ce qui se passait chez elle, pour qu’elle encaisse comme ça. On continuait de la provoquer comme une bête, pour voir jusqu’où on pourrait aller.
Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que la douleur infligée à l’école ne pourrait pas la réveiller. A côté de ce qui se passait chez elle, cette douleur n’était rien, et ce temps passé à l’école était celui du repos et de la récupération. Le seul moment où elle pouvait souffler.
Alors, au lieu de rassembler ses dernières forces pour se battre encore, elle se taisait, et attendait.
Lorsque sonnait la cloche des cours, il leur arrivait de se lasser.
Mais pas Anna.